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10 avril 2007

Vivre en français

J'habite ailleurs. Depuis toujours, je suis une expatriée.

Je suis née dans un petit village, prés de la maison de mes grands-parents
maternels. Alors que ma mère retourne à la grande ville pour finir ses études, je reste avec eux.

Quand à 4 ans et demis j'ai quitté la maison et le village de mes grands parents, ce fût mon premier grand
départ, la rencontre avec la grande ville et un mode de vie autrement agité et bien moins riche, la première expatriation, les premières peines.

J'ai le souvenir des flâneries - que les adultes appréciaient moyennement - pour parcourir les quelques 2 kilomètres et demi qui séparaient le jardin d'enfants de la maison. J'observais, je rêvais, je bavardais parfois avec les passants. La grande ville était différente du petit village où j'avais vu le jour, mais elle était
encore sûre pour une fillette de 5 ans, à cette époque-là. Je n'avais pas beaucoup d'amis mais je restais
liée surtout au village de ma vie au paradis, où je retournais pour toutes les vacances, pour chaque Noël, dès que mes parents avaient l'occasion de prendre le train et parcourir (en 4-5 heures) les 148 kms.

Les liaisons étaient si profondes que je cauchemardais énormément sur la mort de mes grands-parents. J'en cauchemarde encore. Et pourtant...

Vers mes 6 ans, mes parents ont mis en route un projet d'expatriation au Maroc ou en Algérie, en
tant que coopérants. Mon père nous a parlé de notre futur voyage, d'un arrêt à Venise. Pourtant, à la veille de la rentrée scolaire, ma grande-mère m'a inscrite à l'école du cartier. Mes parents étaient partis dans la
capitale et ma grande-mère était venue nous garder. On était censés partir dans les semaines à venir et pauvre Mamie se lamentait que 'plus jamais elle nous reverra'.

Je ne me souviens plus si cette inscription à l'école m'a mise la puce à l'oreille, mais quelques jours
plus tard nous avons, de toute façon, appris la vérité : on ne partait plus. Officiellement, parce que les maisons 'la bas' (il me semble que ce là-bas se nommait Constantine) n'avaient pas de chauffage central.
En réalité, parce que le parti avait demandé aux futurs coopérants d'espionner sur les coopérants déjà en place.

Je suis, très probablement, restée avec la nostalgie de ce voyage raté, qui aurait pu me briser le coeur, s'il avait eu lieu. Ne plus voir mes grands-parents ...

Au fils des ans d'autres sont partis, ont choisi la liberté, comme disait mon père. À la fin de leur contrat au Maghreb, alors qu'il étaient censés rentrer, ils se sont tournés vers la France ou le Canada. Je leurs disais au revoir.. On avait de leurs nouvelles pour un bout du temps, puis plus rien.

Chez mes grands-parents, on écoutait, les nuits d'hiver, la lumière éteinte, radio Europe Libre, Deutsche Welle et Radio France International, sur un vieux poste qu'il fallait régler en permanence. On rêvait de la
liberté de parole.

Sur nous, le Mur c'était refermé plus étroitement que sur d'autres (nos connaissances sortaient dans les autres pays du bloc communiste) probablement grâce aux divers refus de mes parents, peu enclins à 'collaborer'.

Vers mes 14-15 ans, mon père avait été invité comme mains speaker à deux congrès internationaux, dans sa
discipline. On ne lui a pas délivré un passeport.

A 16 ans, une proche voisine part en Autriche avec sa mère et y reste. Nos parents se connaissaient, on se croisait de temps en temps et je me réjouissait d'être bientôt dans la même classe qu'elle, à mon nouveau lycée. Nous avons de ses nouvelles, de diverses façons. Elle réussi parfaitement à l'école, malgré son manque initial de notions d'allemand. Elle doit aussi travailler pour vivre, côte à côte avec formidable bout de bonne
femme qu'est sa mère. De loin, je l(es)' admire. Nous nous écrivons de temps en temps et elle aussi me fait rêver de liberté. (Elle a fini par faire de brillantes études internationales à Ottawa et par travailler à Washington).

A 18 ans, mon amie des dernières années de lycée part en Suède, sans laisser d'adresse. Cela fait très peu de temps que j'ai renoncé à faire de recherches sur Internet, pour la retrouver.

Le Mur est tombé. Je suis étudiante. Je n'ai pas assez de confiance en moi-même pour tenter
les grands testes-filtres américains: SAT, TOEFEL, etc. Ma fac ne me plaît pas, je n'ai pas d'ordinateur et cela me frustre, que de me battre pour l'accès à une machine .. je m'y ennuie et je vais de moins en
moins en cours. Je termine mes études avec un bon mémoire et avec une très bonne moyenne, pas entièrement méritée.

Pendant les mois finals, je travaille dur. Je suis admise à l'école d'été d'un programme doctoral américain, en économie, qui avait lieu à Prague. Je passe avec brio, deux par deux, en jours consécutifs, mes examens de fin d'études. Je rate la grande fête qui s'en suit. J'ai un départ à organiser.

Quelques jours plus tard, je saute dans le train. Mon premier voyage à l'étranger, seule. Avant cela, j'étais allée deux fois en Hongrie où - étrangement - je me suis sentie comme à la maison, une fois en Turquie et deux-trois autres fois en Russie.

À Prague, je déprime. Je me sens horriblement seule, alors que bien-sûr la ville est superbe en été (bien froide quand-même). Je quitte la cité étudiante où je n'y trouve ni ma place, ni assez d'intimité, malgré une
très charmante collègue de chambre, et je m'en vais vivre à la périphérie de la ville, chez une petite pensionnaire. Des copains vont en Italie, j'y vais aussi, sans visa.

Deux mois plus tard je passe avec peine mes examens de fin de trimestre et je suis atterrée de découvrir que j'ai été jugée pas assez motivée pour rester dans le programme. (Rien de plus vrai, par ailleurs). Je dois rentrer. Je commençais enfin à m'y faire, à cette vie loin de la maison. D'autres collègues, avec des moyennes plus basses, sont sélectionnes et restent à Prague. Les copains me proposent de rester et y trouver un travail mais je n'ai plus un centime. Je quémande, dans un tchèque très approximatif, une extension de mon billet de train retour, déjà expiré, auprès d'un gentil monsieur de la
gare internationale et au bout d'un voyage de 17 heures, je suis rentrée.

Je trouve un travail comme prof dans un bon lycée de la vile et m'inscris dans un master d'études européennes. J'habite chez mes parents, garde mon salaire, en hiver je vais au travail en taxi et
suis la meilleure de ma classe de master. Cela ne sert à rien. Six mois plus tard, je laisse tout tomber et pars en France, après avoir réglé toutes les formalités (dont deux visas et un voyage aller-retour à la
capitale) en trois jours.

Je travaille dans une équipe de recherche dont le projet n'est pas clair, mais j'ai enfin réussi à
quitter le bloc ex-communiste. Le choque culturel est immense, mais le fait que les autres membres de l'équipe sont - pour la plupart- étrangers aide un peu. Après un bref arrêt de 4 ans, les années suivantes me voient encore changer du pays. Une fois, deux fois, trois fois.

Cela fait plus de 10 ans que j'habite le français, comme si j'habitais un pays étranger. Cette langue m'a suivie
à l'autre bout du monde, mais je me demande si je ne la garde, inconsciemment, comme une façon de marquer ma perpetuelle expatriation.

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Commentaires
L
J'aime beaucoup ton post.....<br /> Pas facile c'est vrai de passer d'une culture à une autre, de l'investir, de se l'aproprier jusqu'à devenir une seconde nature... Mais c'est je crois une richesse, et peut être qu'il faut seulement essayer de cumuler et non de remplacer ....<br /> En tout cas, je suis convaincue que ce sera pour toi une force. Si tu peux, essaie de faire partager tes racines et tes choix avec tes enfants, c'est important pour eux !
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